GATTÉGNO, Jean-Pierre, J'ai tué Anémie Lothomb, Calmann-Levy, 2009
Antoine Galoubet est un écrivain ignoré des médias et du public. Personne ne lui demande de dédicace alors que des gens se pressent chez ses confrères. Antoine est un génie méconnu de la littérature (enfin, il le pense).
En rentrant d'une séance de dédicaces pour s'enfermer seul dans le chalet de son éditrice et écrire son prochain roman, il découvre une voiture sur le bord de la route. A l'intérieur gît Anémie Lothomb, l'écrivaine à succès, tuée par balle. Antoine travaille toujours par impulsion et improvisation. Il va donc emporter le corps et l'enterrer dans une clairière. Il signale son "kidnapping" à la presse sous le pseudo de S/Z 13-06. Malheureusement, l'opposé de ce qu'il espérait arrive et l'on sourit des maladresses d'Antoine.
Mais, à travers cette satire, c'est le monde des "Lettres" – écrivains, éditeurs, journalistes…– qui est analysé de façon grave et réaliste : notoriété et talent, littérature et romans à succès…
Au fait, à quoi tiens le succès d'un livre ?
J'ai beaucoup aimé le style, l'écriture, l'histoire, les personnages, les réflexions…
En parlant d'A. Lothomb. (p. 53 : clin d'œil !)"Qu'elle disparaisse n'est peut-être pas une mauvaise nouvelle pour la littérature"
ZAFŌN, Carlos Ruiz, L'ombre du vent, B. Grasset, 2005
Il est des livres dans lesquels on entre d'emblée comme on entre en religion. "L'ombre du vent" en est : "C'est comme monter au ciel sans avoir besoin de mourir" [Zafon].
Sempere, le père du narrateur tient une boutique de livres anciens, rares et d'occasion. Il emmène son fils Daniel dans un lieu mystérieux de Barcelone : le Cimetière des Livres Oubliés. Daniel doit y "adopter" un livre parmi des centaines de milliers.
"Ce lieu est un mystère, Daniel, un sanctuaire. Chaque livre, chaque volume que tu vois, a une âme. L'âme de celui qui l'a écrit et l'âme de ceux qui l'ont lu; ont vécu et rêvé avec lui. Chaque fois qu'un livre change de mains, que quelqu'un promène son regard sur ses pages, son esprit grandit et devient plus fort."
C'est ainsi que le jeune Daniel choisit par hasard (fatum ? fortuna ?) "L'ombre du vent" de Julien Carax (auteur inconnu, méconnu) qui va l'entraîner dans une quête faite d'un labyrinthe de mystères qui vont s'imbriquer les uns aux autres à la manière des "matriochkas".
C'est un récit initiatique, fantastique, surréaliste… Tout au long du récit, on se laisse bercer par le style touchant, le lexique, les métaphores, les descriptions pointues, les personnages haut en couleur… bref, un régal !
Quelques phrases tirées du livre… !
"Les livres sont des miroirs et l'on n'y voit que ce que l'on porte en soi-même."
"Quelqu'un a dit un jour que se demander simplement si on aime est déjà la preuve qu'on a cessé d'aimer."
"Nous existons tant que quelqu'un se souvient de nous."
"Il faut toujours que les gens qui n'ont pas de vie se mêlent de celle des autres."
(…)
LEHANE, Dennis, Un pays à l'aube, Rivages/Thriller, 2009
Pas le couple Kenzie-Gennaro, pas un nouveau Shutter Island, ni un Mystic River... même pas un thriller mais un superbe roman à la « Ragtime ». Cette brique de 760 pages au papier bible peut décourager certes mais une fois ouvert, on ne le ferme plus.
La Grande Guerre se termine en Occident mais nous sommes aux Etats-Unis, un peu partout, surtout à Boston. Trois hommes vont se croiser : Babe Ruth, joueur légendaire de base-ball; Luther Laurence, un jeune noir, ouvrier, domestique et Danny Coughin, policier fils de policier.
C'est une grande fresque historique, économique, sociale et politique : crise économique, chômage, inflation, luttes syndicales, mouvements communistes et anarchistes (Trotskistes, Léninistes, Galléanistes, Bolcheviques...), ségrégation raciale, alcoolisme, terrorisme, magouilles, corruption, drogue, pressions, répressions, infiltrations, pandémie de grippe espagnole...
J'ai trouvé ce roman sublime : à la fois lyrique et intimiste avec des personnages extrêmement bien typés pour lesquels on ne peut pas ne pas avoir d'empathie.
Cuisinière Wallonne, Ed. Stéphane Bachès, 2008
Qui peut affirmer qu'on ne peut pas lire une livre de recettes de cuisine comme on lit un roman ?
C'est un réel plaisir que d'avoir en main, feuilleter, lire, saliver, et mijoter dans sa tête les recettes présentées dans ce livre. C'est comme retrouver le cahier de cuisine de sa grand-mère perdu et retrouvé dans un grenier qu'on doit vider, calligraphié à la plume et avec application dans un vieux carnet un peu abîmé par les doigts qui l'ont si souvent consulté pour se rappeler comment on fait; un peu moisi par les vapeurs, les arômes, les effluves, les bouquets des plats mijotés avec amour.
Loin de la chimie expérimentale de la cuisine actuelle, on se plonge et se replonge dans l'alchimie simple des repas et des recettes d'autrefois, celle de notre région : le vrai café liégeois, les gosettes aux pommes de Margot, le lapin au vin rouge, la soupe aux chicons, la cocotte de poulet aux choux de Bruxelles, l'omelette des grands jours aux jets de houblon... Ces 63 pages sont un régal pour les yeux, l'esprit et après ... le palais. L'éditeur propose d'ailleurs d'autres « cuisinières » régionales : auvergnate, alsacienne, périgourdine, bourguignonne, réunionnaise ...
A voir sur : www. editionstephanebaches.com
Bon appétit !
MANKELL, Henning, Le cerveau de Kennedy, Ed. du Seuil, 2009
"Voici Louise Cantor à l'automne 2004, voilà sa vie, noir sur blanc, ou plutôt rouge sur noir, l'association de couleurs habituelles des fragments d'urnes que nous déterrons du sol grec. Louise Cantor a cinquante-quatre ans, elle n'a pas peur quand elle regarde son visage ou son corps dans un miroir. Elle est encore séduisante, pas encore vieille, les hommes la regardent, même s'ils ne se retournent pas sur elle. Et elle ? Que regarde-t-elle ?" (p.19)
Louise, l'archéologue d'Argos", rentre en Suède pour un séminaire. C'est l'occasion de revoir son fils Henrik, son enfant unique de 25 ans, mais "ce 17 septembre, Louise fut précipitée corps et âme dans un gouffre sans fond."
Elle découvre le corps de son fils mort dans son lit. Pour la police, c'est un suicide. Mais, pourquoi Henrik se serait-il suicidé ? Elle n'y croit pas. L'archéologue Louise va alors tenter de reconstituer fragment par fragment les dernières années de la vie de son fils qu'elle croyait si bien connaître et qui devient une énigme pour elle. Grèce, Suède, Australie, Espagne (Barcelone), Mozambique (Maputo)… A travers la quête de Louise, Mankell exprime sa colère contre le cynisme du monde occidental face au lent naufrage de l'Afrique rongé par le sida.
Style, incisif, phrases courtes, j'ai beaucoup aimé.
Mankell abandonne ici Wallander, son héros (ou anti-héros, comme il dit), pour dénoncer le scandale africain auquel l'Occident est indifférent. Dans "La lionne blanche", on sentait cette passion que l'auteur avait pour l'Afrique.
"Le regard de Mankell s'anime dès qu'il évoque l'Afrique et les laissés-pour-compte. Il a le mérite de rester fidèle à ses convictions humanitaires (et humanistes). Préoccupé par le sort des pays sous-développés et la corruption politique du vieux continent, Henning Mankell se définit comme un Européen mais séjourne sept mois par an au Mozambique" peut-on lire dans "Entretien" in "Special Polar", Magazine "Lire", avril 2007
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire