(extrait de Susanna TAMARO, "Va où ton coeur te porte", Plon 1998 et Pocket 2002)
(d'une grand-mère à sa petite-fille...)
"L'idée du destin nous vient avec l'âge. Lorsqu'on a le tien, généralement on n'y pense pas, tout ce qui arrive nous apparaît comme le fruit de notre volonté. Tu te sens comme un ouvrier qui, pierre à pierre, construit devant lui la route qu'il devra parcourir. C'est seulement, bien plus loin, que tu t'aperçois que la route est déjà construite, un autre l'a tracée pour toi et tu n'as plus qu'à continuer. On fait habituellement cette découverte vers quarante ans, on commence à sentir que les choses ne dépendent pas uniquement de soi. Moment dangereux au cours duquel il n'est pas rare de glisser dans un fatalisme étriqué. Pour voir le destin dans toute sa réalité, tu dois laisser passer encore quelques années. Vers soixante ans, quand la route derrière toi est plus courte que celle qui te reste, tu vois quelque chose que tu n'avais jamais vu avant : le chemin que tu as parcouru n'était pas rectiligne mais plein de carrefours, à chaque pas il y avait une flèche qui t'indiquait une direction différente, de là partait un sentier, de là un chemin herbeux qui se perdait dans les bois. Certaines de ces déviations, tu les as prises sans même t'en apercevoir, d'autres, tu ne les as même pas vues ; celles que tu as négligées, tu ne sais pas où elles t'auraient conduite, dans un endroit meilleur ou pire ; tu ne le sais pas mais tu éprouves des regrets. Tu aurais pu faire telle chose et tu ne l'as pas faite, tu es revenue sur tes pas au lieu d'avancer. Tu te souviens du jeu de l'oie ? La vie avance à peu près de la même façon."
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